La Legende de Jean Des Barres

 

Au mois de juillet de l’an de grâce 1249, Messire Jean des Barres, chevalier de Oissery, Saint Pathus, Forfry, Silly, Ognes, Gondeville et de la Fert-Alais, faisait ses adieux passionnés à sa jeune épouse Pétronille, près du pont-levis de son imposant manoir de Oissery.
Jean des Barres partait avec l’expédition du comte de Poitiers rejoindre en Terre Sainte, le roi Louis IX qui avait organisé l’année précédente, la VIIème croisade.
Il répondait ainsi au vœu de son père, héros de Bouvines et ami personnel de Saint-Louis, qui avait dit, en mourant d’une maladie pestilentielle à l’île de Chypre en septembre 1248, sans avoir eu le temps de combattre les infidèles : « Il faut toujours qu’il y ait au combat un des des Barres au côté du roi de France ! »
A peine eut-il rejoint, avec ses compagnons, l’armée de Saint Louis qui campait près du Nil, que Jean des Barres se jeta dans les bras du comte d’Artois, frère du roi, qui venait de reconnaître son ancien frère d’armes. Dès le lendemain , les deux bouillants amis, à l’insu du roi dit-on, organisaient une expédition contre les infidèles, en compagnie des vaillants moines soldats, les Templiers et les Hospitaliers. Les Turcs supérieurs en nombre, massacrèrent la petite troupe de Jean, fait prisonnier, fut conduit près de leur chef Abdallah. Ce dernier, séduit par la prestance et la fierté de ce beau chevalier chrétien, lui proposa le commandement de son armée, à condition qu’il embrasse la loi du Prophète. Devant le refus hautain de Jean, Abdallah condamna ce dernier à une très dure captivité.

Le chef turc avait une fille, la pure et jolie Isabelle et cette dernière, séduite par la beauté et la noblesse du jeune chevalier prisonnier, en tomba éperdument amoureuse, faisant l’impossible pour adoucir son sort. Une profonde amitié se noua entre les deux jeunes gens, mais Isabelle se mit à dépérir à vue d’œil, tant elle se désolait de ne pouvoir épouser Jean qui déjà marié et qui voulait rester fidèle à Pétronille, qui l’attendait dan son lointain manoir.

Désespéré par la tristesse de sa fille, Abdallah appela Jean et lui dit: « Un seigneur franc, fait prisonnier lors d’un récent combat, vient de me donner les preuves formelles de la mort de votre femme ! »

Rien ne s’y opposait plus, le mois suivant, il épousa la radieuse Isabelle, devant un vieux prêtre chrétien prisonnier qui avait converti, quelque temps auparavant, la jeune orientale à la religion catholique. Pourtant comblé par Abdallah, Jean avait la nostalgie de son pays, et un jour, avec son épouse, ils prirent la fuite. Après une traversée mouvementée, ils mirent pied avec émotion sur la terre de France.
Ils brûlèrent les étapes, tant Jean était heureux de revoir son pays natal et Isabelle de connaître ce beau manoir, que son époux lui avait si souvent décrit. Les voici enfin en vue du château; le pont-levis s’abaisse et dessus apparaît… dame Pétronille ! Les trois personnages sont alors littéralement pétrifiés et vivent pendant quelque temps un atroce drame. Puis ils comprennent le mensonge d’Abdallah, qui les a mis tous trois dans une situation impossible.
Alors, les deux femmes, en pleurs, se jettent dans les bras l’une de l’autre et décident d’entrer au couvent afin d’expier cette faute involontaire provoquée par l’implacable destin et de prier ensemble toute leur vie pour messire Jean des Barres qui rentre triste et seul au château en formulant le vœu que, séparés, sur la terre, lui et ses deux épouses soient réunis dans la mort.
Ce vœu a été exaucé puisque Pierre, seigneur de Cusigny en Bourgogne, arrière neveu et héritier de Jean, consacra la somme de 1 600 livres parisis à l’érection, dans le chœur de l’église, d’un monument comprenant un tombeau à trois compartiments sur lequel reposaient les gisants des trois personnages pour la plus grande gloire de Dieu et en l’honneur du haut et puissant messire Jean des Barres et des hautes et puissantes dame Pétronille et dame Isabelle.